« Au début, j’ai voulu tout dire. Résumer une vie en dix minutes : mission impossible. Alors j’ai changé d’angle.

Je ne raconte pas ma vie ; je parle à la leur.
C’est là toute la nuance. Je ne me place pas dans un rôle d’orateur qui déroule ses souvenirs, encore moins comme un professeur qui distribue ses leçons. Non. J’écris, je parle, je transmets comme si chaque mot devait aller droit vers leur cœur, s’installer dans leur mémoire et leur offrir une présence, même quand je ne serai plus là. J’ai compris que la vraie transmission n’est pas une suite d’anecdotes, mais une main tendue qui reste ouverte. Alors je me suis demandé : qu’est-ce que je veux laisser, quand les bruits du monde se seront tus autour de moi, quand mes pas n’accompagneront plus les leurs ?

Ce que je dis, d’abord, c’est simple, c’est essentiel : je t’aime.
Pas un « je t’aime » de façade, pas un mot jeté dans le vide, pas une formule polie qui se répète sans conviction. Je t’aime en concret, pas en concept. Je t’aime pour ta façon de sourire quand tu crois que personne ne te regarde, je t’aime pour cette habitude que tu as de te mordre la lèvre quand tu es concentré, je t’aime pour ton courage silencieux quand tu affrontes des choses que tu ne montres pas. Je t’aime pour tes maladresses, pour ta manière d’apprendre, pour cette étincelle unique qui fait que tu es toi et pas un autre.

La précision fait la vérité. Dire « je t’aime » sans précision, c’est comme allumer une lampe sans orienter la lumière : ça éclaire vaguement mais ça ne réchauffe pas. Alors je veux que mes mots soient précis, qu’ils s’accrochent à des détails, qu’ils deviennent des miroirs dans lesquels tu peux te voir et te reconnaître. Parce qu’on croit souvent que l’amour est une grande déclaration, mais l’amour, en réalité, se cache dans ces détails minuscules qui passent inaperçus. C’est là que je veux ancrer mon message.

Ensuite, je reconnais.
Je reconnais les efforts qu’on ne voit pas toujours. Les gestes discrets qui, mis bout à bout, tissent une force immense. Les petites victoires que tu remportes en silence, sans attendre les applaudissements. Je reconnais que parfois tu crois que personne ne s’en rend compte, que tes combats passent dans l’ombre, mais moi je veux que tu saches que je les vois. Et que je les admire. Parce que reconnaître, ce n’est pas flatter. C’est restaurer l’estime, redonner du poids à ce que tu fais. La reconnaissance, c’est un miroir bienveillant qui te dit : « tu comptes, tu fais une différence ».

Je transmets aussi des repères. Pas des règles gravées dans le marbre, pas des dogmes, pas des interdictions. Je transmets des « si ». Parce que la vie n’est pas un couloir droit, c’est un carrefour permanent. Alors je veux que tu aies avec toi des petits panneaux, pas pour t’emprisonner mais pour t’éclairer. « Si tu doutes, appelle. » Parce que le doute n’est pas une faiblesse, c’est un appel à la reliance. « Si tu es en colère, marche avant de décider. » Parce que le mouvement apaise, parce que la colère figée abîme et que la colère traversée peut devenir une force. Ce sont ces repères-là que je veux laisser. Non pas des chaînes, mais des outils pour que tu continues ta route sans te perdre.

Et puis je bénis leurs chemins.
Je leur dis : « Tu n’as pas à vivre ma vie à ma place. » Parce que je n’attends pas qu’ils reprennent mon héritage comme un fardeau, je ne veux pas qu’ils marchent dans mes pas comme dans une obligation. Je veux leur rendre la clé de leur propre porte. La bénédiction, ce n’est pas un mot religieux ici, c’est un souffle. C’est dire : « je crois en toi, je t’autorise à être toi, même si ce toi-là est très loin de moi ». La bénédiction, c’est une manière de ne pas enfermer l’autre dans le prolongement de mes choix.

Je laisse aussi une boussole. Pas un plan, pas une carte compliquée, juste une petite phrase courte qu’ils peuvent garder en eux comme un viatique. La mienne est simple : « Choisis ce qui fait grandir l’amour. » Peu importe les circonstances, les dilemmes, les tourments : si tu hésites, demande-toi ce qui fait grandir l’amour, pas seulement l’amour romantique, mais l’amour dans son sens large, celui qui relie, qui construit, qui apaise, qui élève. Si tu choisis ça, tu ne seras jamais loin de la vérité.

Mais il y a aussi ce que je ne dis pas. Parce qu’un message, surtout un message qui traverse le temps, se définit autant par ce qu’il tait que par ce qu’il proclame.

Je ne règle pas de comptes.
Un message posthume n’est pas un tribunal. Je ne veux pas que mes mots deviennent des armes, des rappels de blessures, des reproches. La paix que je souhaite pour eux commence par le ton que j’emploie. Si mes mots laissent derrière eux un goût amer, j’aurai échoué. Alors non, pas de comptes à régler. Le passé reste le passé. Ce que je transmets, c’est de la paix, pas un procès-verbal.

Je ne donne pas d’obligations lourdes. Je n’impose pas : « Vends ceci », « Garde cela », « Fais comme ci », « Ne fais jamais comme ça ». Ce serait diriger depuis l’absence, manipuler encore au lieu de libérer. Je peux suggérer, je peux inspirer, mais pas diriger. Parce que leur vie est la leur, pas la mienne. Je ne veux pas poser sur leurs épaules des fardeaux qui appartiennent à mes choix.

Je ne révèle pas de secrets déplacés. Il y a des choses qu’on porte en soi et qui n’ont pas besoin de franchir la barrière du silence. Révéler pour choquer, pour troubler, pour marquer : ça n’apporte rien. Ce qui pourrait blesser sans soigner, je le laisse à mes pensées. Je crois qu’un message doit soutenir, pas fracturer. Il doit être une main, pas un coup.

Je ne parle pas non plus de culpabilité. Je n’écris jamais : « Vous auriez dû… » Parce que personne ne sait quoi faire parfaitement dans les tempêtes. Parce qu’on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, et ça suffit. Les reproches n’ont pas leur place ici. La culpabilité est un poison, et je veux que mes mots soient une eau claire.

Pour me guider dans cette écriture, j’ai utilisé trois questions simples, mais puissantes. Elles m’ont permis de trier, d’épurer, de ne garder que l’essentiel.

La première : si j’avais une seule minute, que dirais-je ?
Parce qu’on croit toujours qu’on aura le temps, qu’on pourra écrire, réécrire, améliorer. Mais la vie ne donne pas toujours ce luxe. Alors je me suis dit : si je n’avais qu’une minute avant que la porte se ferme, quels mots je voudrais laisser ? Ces mots-là, ce sont souvent les plus vrais.

La deuxième : qu’est-ce que je veux qu’ils se répètent quand ça fera mal ?
Parce que je sais que la douleur viendra. Je sais que parfois le monde sera lourd, que la solitude frappera, que la peur reviendra. Dans ces moments-là, je veux que mes mots soient comme une petite lueur dans leur nuit. Qu’ils puissent se dire : « Ah oui, il m’a dit ça. Il croyait en moi. Il m’aimait. Je peux tenir encore un peu. »

La troisième : mes mots leur laissent-ils la liberté d’être eux ?
C’est la plus difficile. Parce qu’on a toujours tendance à projeter, à vouloir guider, à influencer. Mais un vrai message d’amour, ce n’est pas un carcan, c’est une libération. Si mes mots les enferment, alors ils sont mal écrits. Si mes mots ouvrent des possibles, alors ils sont justes.

Et puis, j’ai accepté l’imperfection.
Un message juste n’est pas un message parfait. C’est un message vrai. Je n’ai pas besoin que mes phrases soient littéraires, que mes formulations soient ciselées comme dans un livre d’orateurs. Non. J’ai besoin que mes mots respirent, qu’ils tremblent peut-être, mais qu’ils soient réels. On n’a pas besoin d’un texte littéraire, on a besoin d’une présence. D’un souffle. D’une trace de chaleur humaine.

Au fond, tout cela revient à une chose : je veux qu’ils sachent que je suis là, même dans mon absence. Que je continue de marcher avec eux à travers mes mots, mais que ces mots ne les enferment pas, ne les contraignent pas, ne les écrasent pas. Qu’ils puissent puiser dedans une force, un repère, une tendresse, mais jamais une dette.

Alors je recommence :
Je ne raconte pas ma vie. Je parle à la leur.
Et dans ce parler, il n’y a pas de volonté de briller, de convaincre, de laisser une empreinte. Il n’y a que ce désir simple : être encore une présence dans leurs jours, même si mon corps ne peut plus l’être.

C’est ça, au fond, la seule chose qui compte.